LES BOSTONIENS DU DIMANCHE / Emmanuel Hocquard. 1987

LES BOSTONIENS DU DIMANCHE, 1987

à Claude Richard

– Toutes les villes sont belles le matin. Lorsque
les Bostoniens de la semaine ont quitté les chantiers
et les bureaux climatisés des banques,
dehors, toute la nuit, la poussière retombe en silence
sur la poussière des banques et des chantiers. Personne
aux fenêtres des palissades ni dans les centres de photocopie.
Le dimanche, oublieux des reflets de la brique et du bronze
sur les vitres salies, satisfaits et prospères, les Bostoniens
défilent au musée devant les tableaux peints à la française
qui représentent les Bostoniens d’hier.
En robes du dimanche, les Bostoniennes d’aujourd’hui
contemplent les images peintes de leur corps
dans les images dénudées des Bostoniennes d’autrefois,
tout en rêvant de maternités et de boucles blondes.
Puis les Bostoniens du dimanche achètent des reproductions
en couleur des tableaux : boucle rose et blonde
de la mémoire américaine penchée sur son berceau
– production, reproduction, XEROX –.
Non loin de là, dans le port et sur les lieux mêmes
où se sont produits les événements de 1773
– mécontents de la taxe que leur imposèrent les Anglais,
des colons, déguisés en Indiens, jetèrent, une nuit, à la mer
toute une cargaison : deux cent quarante-deux caisses de thé –,
le brick Beaver II, réplique grandeur nature du brick Beaver I,
rappelle la Boston Tea Party. Si vous passez par là
venant je ne sais d’où, allant je ne sais où,
et si vous visitez le navire, vous pouvez entrer
dans l’esprit de la rébellion en jetant, vous aussi, à la mer
deux répliques grandeur nature, en polystyrène expansé,
des caisses de thé, qu’une ficelle
permet de remonter à bord, le geste commémoratif accompli.
Vieux singe perché sur le dos blanc d’une licorne,
frère Ezra voyagea ainsi jusqu’en Chine
et revint mourir à Venise, centre international de photocopie,
berçant, dans l’eau boueuse de ses souvenirs, les reflets
irisés de son cœur et du tout premier ghetto juif.
Et si, venant je ne sais d’où, allant je ne sais où,
vous vous rendez à Nantucket, par une matinée d’hiver,
pour visiter le musée des baleines, vous entendrez,
sans la voir, tinter dans le brouillard la cloche
de la dernière bouée du chenal. Vous vous rappellerez les naufrages
et les lettres qui voyagèrent, sans adresse, sur l’océan,
de baleinier en baleinier, à la recherche d’un destinataire.

I BOSTONIANI DELLA DOMENICA, 1987

a Claude Richard

– Di mattina, tutte le città sono belle. Quando
i bostoniani della settimana hanno lasciato i cantieri
e gli uffici climatizzati delle banche,
fuori, in silenzio, la polvere ricade per tutta la notte
sulla polvere delle banche e dei cantieri. Nessuno
alle finestre fra le siepi o nei centri fotocopie.
La domenica, incuranti dei riflessi del mattone e del bronzo
sui vetri sporchi, soddisfatti e prosperi, i bostoniani
sfilano al museo di fronte ai quadri dipinti alla francese
che rappresentano i bostoniani di ieri.
Vestiti per la domenica, le bostoniane di oggi
contemplano le immagini dipinte dei loro corpi
nelle immagini denudate delle bostoniane d’una volta,
continuando a sognare maternità e riccioli biondi.
Poi i bostoniani della domenica si comprano riproduzioni
a colori dei quadri: ricciolo rosa e biondo
della memoria americana che si sporge sulla propria culla
– produzione, riproduzione, XEROX –.
Non lontano da lì, al porto e sui luoghi stessi
in cui nel 1773 i fatti si sono svolti
– scontenti della tassa che gli inglesi avevano imposto,
alcuni coloni, travestiti da indiani, gettarono a mare
un intero carico: duecentoquarantadue casse di tè –,
il brigantino Beaver II, replica a grandezza naturale del brigantino Beaver II,
ricorda il Boston Tea Party. Se passate di lì
venendo da non so dove, e andando non so dove,
e visitate la nave, potrete partecipare
allo spirito della ribellione, gettando anche voi in mare
due copie di casse da tè a grandezza naturale,
in polistirene espanso, che una corda poi
permette di riportare a bordo, una volta compiuto il gesto commemorativo.
Vecchia scimma appollaiata sul bianco dorso d’un liocorno,
frate Ezra viaggiò così fino in Cina,
e ritornò a morire a Venezia, centro internazionale fotocopie,
cullando nell’acqua melmosa dei suoi ricordi i riflessi
iridizzati del suo cuore e del primissimo ghetto ebraico.
E se, venendo da non so dove, e andando non so dove,
una mattina d’inverno, arrivate a Nantucket
per visitare il museo delle balene, sentirete
suonare in mezzo alla nebbia, senza vederla, la campana
sull’ultima boa del canale. Vi ricorderete dei naufragi
e delle lettere che hanno solcato, senza indirizzo, l’oceano
di baleniera in baleniera, alla ricerca d’un destinatario.

[ Traduzione di Michele Zaffarano ]