da bibi (incipit) / charles pennequin. 2002

Salut à moi. Salut à toi. Salut tout le monde. Tout le monde salue. Tout le monde passe. Un par un. Tout le monde vient pour saluer tout le monde. Tout le monde dit salut tout le monde. Un monde qui passe. Je dis bonjour. Bonjour à tous. Un par un. Tout le monde me dit bonjour.  Comment tu vas. Comment ça se passe. Où sont les enfants. Comment vont-ils. Qu’est-ce qu’ils fabriquent. Qu’est-ce qu’ils en disent. Quoi qu’ils pensent. Qu’est-ce qui les fait qu’on pense. Quit fait penser qu’on les pense. Que les enfants vous viennent. Qu’est-ce qu’ils viennent dire. Quoi qu’ils nous veulent encore. Qu’est-ce qu’ils veulent dire. Pourquoi ils pensent ainsi. Qu’est-ce qui les fait agir. Qu’est-ce qu’ils te font à toi. Qu’est-ce qu’ils te veulent donc. Et que leur réponds-tu. Pourquoi tu répondrais. Qu’est-ce qui te ferait répondre enfin. Et pourquoi tu te tairais. Pourquoi t’as inérêt à te taire. Pourquoi tu veux plus rien répondre. A qui tu répondrais. Quelles seraient tes réponses. A qui tu les donnerais. Il te viendrait plutôt des questions. A qui tu les poserais. Pourquoi il te viendrait l’envie de parler. D’avoir des mots. Des mots bien à toi. Des pensèes tiennes. Des dictons. Tu construis tes dictons. Tu penses en boule. Tu t’agites. T’es qu’une boule d’agissement. Tu penses plus. Tu viens tu vas. T’as plus d’orgueil. C’est quoi avoir son mot à dire. J’ai mes raisons. J’ai ma propre libido. Mes secrets. C’est quoi être intimement mêlé. Etre lié. Faire la vide. Souffler. Respirer. Pousser. Qu’est-ce qui nous vient. Qu’est-ce qui nous pousse dedans. Dehors. Qu’est-ce qu’on viendrait y faire. On viendrait rien y faire. On viendrait y pousser. Pousser sa voix. Pousser son corps en voix. Dan l’être. On nait. On nait d’un coup. En un coup de gueule. On n’a que ça. On na qu’une gueule. Qu’un corps. On nait qu’un seul jour. Il n’y a qu’un temps. On est tout seul dedans. Et pourtant tout le monde est autour. Tout le monde vous veille. On veille un mort. On lui dit bonjour. On vient pour le saluer. On salue le malentendu. On accoste. On aborde la question. On s’arrache et on s’arroche. On n’adhère pas. Ou on colle trop. On sent de la bouche. On transpire. On est gluant. On parle. On tousse. On crache. On pisse. On n’a pas de lien. On n’est pas marié. On n’est pas seul. On a des enfants. On a des femmes. On est parmi elles. On a sa petite femme. Son enfant. On le couve. On l’écrabouille. On l’étrangle. On entasse tout. Tous les plats sont entassés. On avale tout. On produit. On est tous sortis pareil. On est tous au même endroit. Tout le monde se touché. Tout le monde agit de même. Tout le monde sait jouer son va-tout. Son petit moi. Son petit chez-soi. On n’a pas d’abris. On n’a plus de corps. On est des poussés. Le temps fout le camp. On est dans le fout le camp. On n’est pas lié. Pourquoi je me lierais à moi. Pourquoi je me lierai à l’être qui est en moi. Pourquoi ja fais pareil que lui. Je suis dans son ombre. Et je me bouffe. Je suoi bouffé en lui. En l’autre. L’être en mon double. Je suis doublé. J’ai une langue double. Je pense en lui ou bien c’est lui qui men pense. Je pense son penser. Je gonfle. J’ouvre la bouche et je me pends dedans.  Je voudrais m’annuler. Annuler tout ce qui fait que je suis. Tout ce qui fait qu’on me reconnaît mon être. […]

[Da: Charles Pennequin, bibi, P.O.L., 2002. Image: Junya Ishigami, Little Gardens.]